Le groupe GreC du Japon

Description du projet

Responsable  : Franck Delbarre, maitre de conférences, Université des Ryūkyūs (Japon)

1. Origines du projet

Ce projet est né suite au constat d’un certain immobilisme dans la didactique de la grammaire notamment au niveau des publications ayant trait à la grammaire du français dans les milieux d’enseignement et apprentissage du FLE au Japon. Qu’il s’agisse de grammaires de référence ou de grammaires pédagogiques sous forme de manuels d’apprentissage de la grammaire, quels qu’en soient les auteurs, il est notable que l’ensemble des ouvrages de grammaire (mais aussi les manuels visant la pratique de la communication en FLE) obéissent sensiblement aux mêmes schémas explicatifs de la grammaire du français tels que pratiqués en France pour l’enseignement de la grammaire du français langue maternelle. L’attachement, conscient ou inconscient, manifeste des divers acteurs du FLE au Japon à la grammaire traditionnelle du FLM nous a amené à considérer d’autres voies possibles en matière d’enseignement et apprentissage de la grammaire du FLE au Japon à travers sa contextualisation / adaptation. L’observation de l’apprentissage du FLE (autant de sa grammaire que des pratiques linguistiques des apprenants) que nous avons menée à travers certaines études a mis à jour des lacunes dans l’enseignement, et donc dans l’apprentissage, de la grammaire du FLE tel qu’ils se pratiquent actuellement. Si nos recherches s’étaient jusqu’alors concentrées sur le problème posé par l’absence de l’enseignement de l’expression de l’état (sous la forme “être + participe passé”) et ses conséquences éventuelles sur les étapes ultérieures d’apprentissage (notamment des formes verbales temporelles et aspectuelles du français à tous les modes), il apparaît que d’autres pans de la grammaire du français, peu abordés voire pas du tout dans les cours actuels de grammaire du français, pourraient bénéficier d’un meilleur éclairage et d’une coloration locale, qui pourraient bénéficier à l’apprentissage du FLE chez nos apprenants.

2. Objectifs

Notre objectif actuel est de produire une grammaire pédagogique contextualisée / adaptée du FLE pour les apprenants japonophones, en particulier ceux du milieu universitaire. Le but est de permettre à l’apprenant de mieux appréhender la manière dont fonctionne la grammaire du français en prenant comme appui sa propre L1, i.e. le japonais dans notre cas. La L1 ne joue pas simplement un rôle explicatif (comme c’est déjà le cas dans les manuels de FLE publiés au Japon), mais sert autant que possible de point de départ / d’appui ou de référence de la réflexion pédagogique, notamment au niveau des structures grammaticales à enseigner (sans forcément rejeter tous les aspects de l’approche traditionnelle des manuels de grammaire utilisés au Japon ou en France). Nous espérons ainsi qu’une meilleure prise de conscience par l’apprenant des systèmes linguistiques mis en oeuvres dans les L1 et L2 puisse lui fournir les moyens d’améliorer son propre apprentissage de la L2. Par ailleurs, les croisements opérés par l’apprenant entre la grammaire de la L3 que constitue l’anglais (langue étudiée au collège et au lycée par les apprenants japonais pendant au moins 6 ans, ce qui formate forcément leurs concepts linguistiques) et celle de la L2 devraient être pris davantage en compte, les apprenants de FLE recourant souvent systématiquement à leurs connaissances en anglais pour apprendre le français.

La grammaire pédagogique contextualisée du FLE que nous souhaitons produire sur le long terme reprend la définition qu’en donne la terminologie officielle du GRAC, à savoir un ouvrage :

  • destiné à des enseignants ou des publics spécifiques d’apprenants qui sont impliqués dans un parcours de formation en langue et identifiés comme tels (par classe d’âge, cycle d’enseignement, niveau de compétence atteint ou visé…) ;
  • souvent fondé sur un programme d’études et qui ne vise donc pas nécessairement à l’exhaustivité de la description ;
  • constituant un support d’apprentissage, le plus souvent utilisé en parallèle avec un manuel de langues ».

2. Cadre institutionnel

Nous avions, jusqu’à la réforme de la faculté mise en place en avril 2018, pour cadre une université (l’université des Ryūkyūs) possédant une section spécialisée d’apprentissage du français, mais dont les effectifs estudiantins sont très réduits (tout au plus une douzaine d’apprenants répartis sur 4 années d’études de niveau licence à la sortie), ainsi que des classes non spécialistes aux effectifs bien plus nombreux en première année d’université (en raison de l’obligation de faire une seconde langue autre que l’anglais à ce stade), mais fondant tout aussitôt dès la seconde année.

Bien que nos étudiants ne soient en rien contraints à passer les tests du DELF (il n’existe d’ailleurs pas de centre d’examen officiel du DELF proche de notre région) ou du DAPF (Diplôme d’Aptitude Professionnel du Français, appelé aussi « futsuken », reconnu par le ministère de l’Education et de la recherche japonais à la différence du DELF et du DALF, et sans réelle prise en compte des aspect communicatifs d’apprentissage mais plutôt fondé sur les compétences grammaticales et la compréhension écrite, malgré l’existence d’un volet oral), nous nous donnions du point de vue des objectifs académiques non officiels le but d’amener nos apprenants à un niveau de compétences linguistiques comparable aux niveaux A2 du CECR en fin de seconde année, et B1 en fin de quatrième année (mais dans les faits, seuls les apprenants ayant fait un séjour d’un an en France parviennent à ce niveau-ci). Du point de vue des examens dits futsuken , nous visions plutôt les niveau respectifs 3 et éventuellement 2bis (stade intermédiaire précédant le niveau 2). Il est cependant difficile de prévoir en quoi la réforme de la faculté mise en place en avril 2018 affectera les niveaux théoriques atteints au niveau licence, i.e. à leur sortie d’université. Dans notre projet de contextualisation de la grammaire et d’édification d’une grammaire pédagogique contextualisée du FLE, nous prenions en compte cette exigence de niveau au moins pour les trois premières années d’apprentissage. Cependant, la récente réforme de la faculté appliquée dès cette rentrée universitaire d’avril 2018 a remanié les cartes, en obligeant les étudiants à ne choisir leur spécialité qu’un an et demie après leur entrée à l’université, et non plus dès leur entrée, la section spécialisée de français ne subsistant que sous une forme minimale pour les deux dernières années et demie du cursus universitaire, au lieu des 4 ans initiaux (la dernière année étant souvent réduite à la portion congrue en raison du processus de recherche d’emploi des étudiants parallèle à l’écriture d’un mémoire de fin d’études qui accapare leur temps, les incitant à négliger les cours de langue elle-même). Dans les faits, il n’y a donc plus d’étudiants spécialistes de français lors de la première année et demie dans notre établissement. Il est difficile de prédire à ce stade en quoi cela affectera les priorités de notre projet de grammaire contextualisée (sans doute vaut-il mieux envisager une grammaire contextualisée indépendante des cursus, qui de toute manière diffèrent selon les établissements).

Par ailleurs, si les cours de FLE au Japon sont le plus souvent répartis de telle sorte que les enseignants japonophones natifs s’occupent des cours de grammaire proprement dite et de civilisation (littérature, culture, etc), tandis que les enseignants francophones natifs ont en charge les cours dits de communication ou de conversation (des cours centrés sur la commmunication orale essentiellement), cette affirmation est à nuancer dans notre cadre institutionnel où la répartition des tâches n’est pas aussi nette entre catégories de classes (et d’enseignants) et contenus des cours.

3. Mise en œuvre

La première étape de notre projet mené avec les nombreux conseils et l’assistance de mes collègues de l’université des Ryūkyū, M. Nishimori et Mme Miyazato, a donné lieu à la production d’un premier essai de mémento grammatical de la grammaire contextualisée du FLE correspondant justement aux niveaux d’apprentissage du FLE A1 et partiellement A2 du DELF. Nous avions délibérément choisi de nous limiter pour cette phase initiale de notre projet à la mise en valeur des savoirs d’expertise professionnelle des enseignants issus de leurs expériences d’enseignement/apprentissage du FLE en milieu japonophone afin d’établir un premier jet de grammaire pédagogique contextualisée du FLE.

Il serait bon pour améliorer ce premier essai d’étudier le discours grammatical des apprenants quand il nous est disponible. Ce discours grammatical fait le plus souvent référence à la grammaire anglaise apprise au collège et au lycée, d’autant plus que les apprenants sont conscients de la proximité entre l’anglais et le français, et font appel aussi à leur connaissance du métalangage du japonais qui croise assez souvent celui des langues européennes, ce qui n’est pas sans créer des problèmes d’apprentissage. Par ailleurs, nous nous appuyons également autant sur les savoirs savants de référence (concernant la grammaire du FLE et du FLM) qui permettent de corriger la grammaire ordinaire et de donner un autre point de vue grammatical quand celle-ci peut faire obstruction à notre démarche. La contextualisation de la grammaire du FLE ne visera pas simplement à rendre compte des différences linguistiques fondamentales entre L1 et L2, voire L3 (anglais), elle visera aussi à mettre en évidence les structures communes ou relativement proches existant entre langue maternelle, langue cible et L3, quel qu’en soit le degré de proximité apparent, et ce malgré les différences évidentes entre français et japonais d’une part, entre français et anglais d’autre part, dans notre cas. Il se trouve que les grammaires actuelles du FLE au Japon, si elles permettent sans doute à l’apprenant de se rendre compte de la nature très différente des systèmes linguistiques de la L1 et de la L2 d’une part, et parfois entre L2 et L3 d’autre part, sont insuffisantes lorsqu’il s’agit au contraire de mettre en avant les points communs ou rapprochements pourtant relativement nombreux qui peuvent être opérés entre la langue maternelle et la langue cible notamment. Ces derniers points sont le plus souvent passés sous silence car allant vraisemblablement de soi, mais rien ne dit ce qu’il en est vraiment du point de vue de l’apprenant pour lequel rien n’est sans doute évident dans l’apprentissage de la langue cible.

4. Forme finale

L’élaboration de cette grammaire pédagogique contextualisée du FLE pour les japonophones (y compris les enseignants de FLE) aura les caractéristiques suivantes :

  • utilisation de la langue japonaise comme langue d’explication de la grammaire du FLE (possibilité d’une version française pour les non japonophones)
  • utilisation des structures, de la syntaxe et du lexique de la langue japonaise comme points de départ de sélection des items grammaticaux à enseigner/apprendre quand cela est possible. Cela nous amène à aborder grammaticalement des points qui ne sont pas traditionnellement traités dans les manuels et curriculums du FLE au Japon. Les manuels de JLE, plus que les grammaires du JLM, peuvent être un outil révélateur des structures grammaticales de base du japonais qui méritent justement d’être traités dans une grammaire pédagogique (mais aussi de référence) contextualisée du FLE ;
  • utilisation des structures, de la syntaxe et du lexique de la langue japonaise et de la L3 (anglais) comme moyens de présentation contextualisée de la grammaire du FLE quand cela est possible ;
  • utilisation du métalangage du FLE (traduit en japonais) aussi bien que du métalangage du JLE/JLM et de l’ALE afin d’expliciter l’utilisation des termes en usage dans la grammaire du FLE traditionnelle par rapport aux termes en usage pour la grammaire du JLE, du JLM et de l’ALE. Il peut y avoir création de métalangage si jugé opportun ;
  • importance donnée aux exemples grammaticaux, souvent trop peu nombreux dans les manuels et grammaires de références actuellement publiés au Japon.

5. Limites de notre projet

S’agissant d’une grammaire contextualisée à des fins pédagogiques, notre projet ne se veut pas exhaustif sur chacun des points grammaticaux sélectionnés. Elle peut fonctionner toutefois comme un ouvrage de référence tout au long de l’apprentissage. Il peut y avoir coïncidence entre les items grammaticaux de L1 et L2, mais aussi entre L2 et L3 ainsi que dans leur ordre de présentation. Contextualiser ne vise donc pas forcément à remplacer ou à substituer, mais aussi à compléter les présentations traditionnelles des items grammaticaux du FLE selon un point de vue extérieur, celui de la L1 voire de la L3, des enseignants francophones et des apprenants japonophones de FLE. Cette grammaire pédagogique contextualisée pourra s’améliorer au gré des nouvelles informations à partir d’autres sources de savoirs que nous n’avons pas encore sollicitées. Elle pourra aussi prendre en compte les progrès faits plus tard dans les descriptions scientifiques du français ainsi que les avancées faites dans la recherche sur l’acquisition de L2, notamment en fonction de L1, voire de L3.


  1. Franck Delbarre