Enseigner la grammaire autrement : Appel à témoignages pédagogiques

Le réseau GreC souhaite recueillir et rendre disponibles des témoignages et expériences d’enseignants sur les difficultés spécifiques que rencontrent leurs apprenants en grammaire française. Ces difficultés se caractérisent par leur forte récurrence, leur prévisibilité en fonction de la langue première et leur persistance jusqu’à des niveaux avancés (C1), phénomène connu sous le nom de fossilisation.

Elles résultent le plus souvent des différences structurelles entre le français et la langue première des apprenants. Cela peut concerner des catégories grammaticales du français qui n’ont pas d’équivalent dans leur langue (par ex. : l’imparfait pour les anglophones, l’article partitif en russe, l’infinitif en grec moderne) ou, à l’inverse, des catégories présentes dans leur langue mais absentes en français (comme les cas grammaticaux, le genre neutre ou le mode moyen).

Nous souhaitons recueillir des témoignages sur la manière dont chaque enseignant(e) aborde ces difficultés dans sa pratique, en mettant en œuvre une stratégie personnelle, souvent élaborée au fil des années d’expérience. L’objectif est de valoriser et de partager ce savoir-faire, d’autant plus que ces points de grammaire ne sont généralement pas traités dans les grammaires FLE d’usage courant.

Ces témoignages incluront notamment :

  • une analyse des fautes observées,
  • la définition donnée (par ex. : explication d’un terme grammatical),
  • la description du phénomène par l’enseignant (qui peut avoir développé une approche spécifique pour sa classe),
  • les questions, commentaires ou propositions de description formulés par les apprenants, qui reflètent leurs intuitions,
  • les exercices et activités utilisés.

Un compte rendu d’expérience de ce type n’excédera pas cinq pages A4. Il pourra être affiné grâce à des échanges avec les membres du GreC avant d’être mis à disposition sur le site, uniquement si l’auteur(e) le souhaite.

Une présentation plus détaillée des motivations de ce projet figure ci-dessous.

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Cet appel prend la suite de la Grammaire GRAC.

Pourquoi cet appel à « témoignage grammatical ? »

Les activités grammaticales sont toujours bien présentes dans l’enseignement du français comme langue étrangère et comme langue première ou langue de scolarisation, pour des raisons culturelles et en fonction de certains contextes (par ex. dans le cas de langues typologiquement distantes du français).

Enseigner la grammaire comme activité réflexive

Les activités grammaticales ne peuvent constituer à elles seules la base de l’enseignement ; elles doivent s’intégrer à l’apprentissage des compétences communicatives (interagir, lire…) dans une approche globale du FLE. Par ailleurs, la maîtrise des règles ne garantit pas toujours la production d’énoncés corrects, notamment à l’oral, mais reste essentielle pour l’orthographe et l’écriture, où l’on peut se corriger.

Elles doivent avant tout favoriser une prise de distance réflexive sur la langue, en aidant les apprenants à en comprendre le fonctionnement non arbitraire. Cette approche dépasse la simple mémorisation ou l’application mécanique des règles.

Partager l’expertise grammaticale individuelle des enseignants

Enseigner la grammaire implique de s’appuyer sur une description de référence que les enseignants doivent rendre accessible aux apprenants, notamment pour des notions sans équivalent dans leur langue première (ex. : l’imparfait pour les anglophones, l’infinitif en grec moderne) ou pour des structures similaires mais non identiques (ex. : l’article indéfini français et l’article zéro).

Chaque enseignant mobilise des ressources didactiques adaptées, fondées sur son expertise grammaticale et son contexte éducatif. Partager ces savoir-faire permet d’enrichir la didactique sans la révolutionner, en s’inspirant des stratégies développées par d’autres et souvent méconnues hors de la classe.

Partager les manières dont les enseignants transposent la grammaire

L’expertise de transposition grammaticale peut d’abord consister en la création de ressources non linguistiques et non directement descriptives : procédés mnémotechniques, représentations graphiques (tableaux, axe des temps ; « maison de l’être »), images (ne…pas décrit comme « négation sandwich ou négation hamburger »), comparaisons et métaphores (il pleut, il nommé sujet vide).

L’expertise grammaticale des enseignants se manifeste aussi dans le choix des descriptions de référence à utiliser. Celles-ci relèvent de la tradition ancienne des grammaires scolaires qui proviennent de formes déjà transposées des descriptions scientifiques des linguistes : elles permettent, par exemple, de décrire le fonctionnement du français parlé (ordre des mots avec les dislocations, réalisations conventionnelles de certains actes de parole : ça m’est égal ; tant pis ; ça va pas, non ! qu’est-ce qui te prend ?). De fait, plusieurs descriptions d’un même phénomène sont disponibles et l’expérience d’un enseignant devrait conduire à privilégier celle qui s’avère la plus parlante pour ses apprenants : est-il plus clair pour les apprenants de parler d’article partitif ou d’article (indéfini) massif (ni singulier, ni pluriel) ? Souvent, cela revient à trouver un équilibre entre la pertinence descriptive et la clarté pour l’apprenant.

L’expertise grammaticale porte aussi sur la capacité à faire accéder aux descriptions, autrement dit la capacité à faire comprendre les fonctionnements par des simplifications (par ex. jusqu’où est-il utile/nécessaire de « descendre » dans les nombreux cas particuliers de l’emploi du subjonctif dans les complétives en que), par l’emploi d’une terminologie limitée, de formulations brèves, de paraphrases, d’exemples éclairants et mémorisables, d’une mise en relation contrastive avec la langue première (ou la première langue étrangère enseignée). L’expertise conduit à élaborer un discours grammatical adapté dont on peut tester la validité pour son propre contexte.

Partager les manières dont les enseignants contextualisent les descriptions de référence du français

Parmi les formes de transposition possibles, la contextualisation de la description de référence utilisée pour enseigner est au centre des intérêts du réseau Grammaires et contextualisation depuis son origine.

La « contextualisation de la description grammaticale de référence » est le fait d’adapter celle-ci aux connaissances grammaticales des apprenants, autrement dit à leur « culture grammaticale ». Cette culture grammaticale est constituée par les notions grammaticales et les formes de leur description que les apprenants ont acquises ou manipulées dans le cadre de l’enseignement de la langue de scolarisation ou, si celui-ci n’existe pas en tant que tel, dans celui de la première langue étrangère apprise (qui est souvent l’anglais). Cette démarche revient à « rapprocher » la grammaire du français des connaissances grammaticales des apprenants pour en faciliter la compréhension. Or, cette contextualisation est essentiellement mise en œuvre par les enseignants qui, de fait, sont amenés à « créer de la description », à partir à la fois des grammaires du français et de celles de la langue de scolarisation des apprenants, dans des formes de métissage très variables.

Le présent appel vise à recueillir ces discours explicatifs des enseignants qui cherchent à adapter la description courante du français à leurs apprenants. On peut parfois trouver des traces de contextualisation dans des ouvrages de grammaire du français produits sur place, surtout par des enseignants qui utilisent la même langue première que leurs apprenants.

Les recherches menées dans le cadre du GreC ont montré que la contextualisation reçoit plusieurs formes dont les plus notables sont :

  • l’enseignement de la grammaire du français dans la langue maternelle des apprenants ;
  • l’utilisation de catégories grammaticales de la langue de scolarisation pour décrire le français, par exemple, utilisation du cas datif pour les langues où il y a des cas de déclinaison, pour désigner le complément (indirect) d’attribution du français ;
  • la réorganisation, voire la reformulation de la description de référence. Par exemple pour les hispanophones, on propose de commencer la description de la pronominalisation des noms par l’opposition animé/non animé j’obéis à quelqu’un (lui)/j’obéis à quelque chose (y), qui correspond à vió a tu padre/le vió ; vió el libro/lo vió, pour aborder seulement ensuite la distinction entre complément direct et complément indirect, qui n’existe pas en espagnol. Plus largement, ces descriptions adaptées peuvent comporter des éléments de comparaison entre les deux langues, qui ne figurent pas dans les grammaires de référence du français car elles ne sont pas destinées à des non-francophones.

Ces descriptions peuvent n’être utilisées que de manière provisoire, en première approche, pour expliquer un fonctionnement et ne pas être enseignées en tant que telles, une fois que ces descriptions sont considérées comme maîtrisées.

Des exemples de contextualisations grammaticales de ce type sont consultables sur le site GreC, en particulier dans la section Archive des fiches de descriptions contextualisées de la Grammaire actuelle et contextualisée du français (GRAC) 2016-2021.

Le rôle des interférences et d’une approche contrastive pour les contextualisations

Les fautes attribuées aux interférences (négatives) constituent une source possible des descriptions contextualisées. En effet, une forme de la contextualisation de la description de référence consiste à prendre appui sur la mise en relation des descriptions des deux langues. Cette mise en regard contrastive de la langue de scolarisation/langue première et du français est presque spontanée dans l’enseignement des langues et, en tout cas, elle est aussi ancienne que l’enseignement des langues vivantes lui-même.

Tout enseignant constate aisément, au fil des années, que les mêmes erreurs se rencontrent dans les énoncés oraux et écrits de ses apprenants. Celles-ci ne sont réduites que progressivement, puisqu’on peut les observer globalement chez nombre d’apprenants jusqu’au niveau B2 et même au-delà, chez des utilisateurs expérimentés (phénomène dit de fossilisation). Ces fautes sont réputées avoir pour origine la surimpression par l’apprenant des formes de sa langue première sur celles de la langue cible. Ainsi, la forme erronée du déterminant *le mon oncle, produite par des italophones provient-elle du « calque » sur l’italien : il mio zio. La permanence de ces difficultés d’appropriation, prévisibles collectivement (et non individuellement) parce que produites par les interférences, conduit certains enseignants à imaginer des descriptions sur mesure, fondées sur la description de deux langues (ou plus) et qui ne figurent pas dans les grammaires de référence. Ce détour par la langue première amène à imaginer des descriptions adaptées. Les explications à élaborer relativement aux interférences sont potentiellement pour les enseignants des facteurs de créativité, en termes de contextualisation, qui facilitent l’accès des apprenants à la grammaire.

Le rôle des verbalisations grammaticales des apprenants pour les contextualisations

On a jusqu’ici souligné l’expertise grammaticale des enseignants en tant que celle-ci concerne les descriptions à privilégier pour les rendre plus accessibles aux apprenants. Et l’on souhaite rendre possible le partage de ces créations.

Mais il serait très pertinent pour les descriptions contextualisées de prendre en compte la manière dont les apprenants commentent, avec leurs propres mots (et non nécessairement au moyen d’une terminologie établie) leurs difficultés par rapport à un fait de langue donné. Les apprenants sont en mesure de produire du savoir personnel sur le fonctionnement de la langue cible, ceci en fonction du développement de leur compétence en langue cible (leur interlangue) et des langues qui font partie de leur répertoire et, en particulier, la langue de scolarisation dans laquelle ils ont été grammatisés. Elles prennent la forme d’intuitions subconscientes ou inconscientes (dites épilinguistiques par A. Culioli) qui sont verbalisées.

Le fait de susciter systématiquement de telles verbalisations des apprenants constitue la démarche réflexive par excellence. On souhaite que les collègues qui répondront à cet appel puissent décrire (et citer) des verbalisations qu’ils ont pu noter ou enregistrer. La prise en considération des échanges sur la nature des difficultés rencontrées, telles que les expriment les apprenants, est une ressource incontournable pour contextualiser les descriptions grammaticales utilisées.

Ce discours grammatical des apprenants est susceptible de se manifester de manière spontanée : question à l’enseignant, explication de la correction / de l’autocorrection d’une faute… Il serait aussi très éclairant de savoir comment les enseignants créent des conditions « faire penser la langue à haute voix », à la fois dans des activités transmissives et dans des activités ouvertes plus réflexives.

A priori, les verbalisations grammaticales des apprenants peuvent être sollicitées selon différentes modalités :

  • Privilégier les exercices à réponse ouverte ou au moins à choix multiple et faire réaliser ces exercices d’application par paires d’élèves, pour qu’ils puissent discuter entre eux de la « réponse » à donner, de manière à susciter des échanges entre eux d’abord, puis avec l’enseignant ;
  • Interroger (et enregistrer) systématiquement les élèves à la suite d’une activité grammaticale et analyser leurs réactions verbales à un fait de langue nouveau ou faisant difficulté ; Dans ces deux cas, les verbalisations peuvent être de toute nature et non strictement grammaticales : « ils mon dit de me présenter : je mets toujours cette écriture » (commentaire d’apprenant francophone sur l’orthographe ; réaction générique) ; « avec lui j’avais plus d’affections : « s », parce que mon père me donnait beaucoup d’affection) (commentaire d’apprenant francophone sur l’orthographe ; réaction métalinguistique)
  • Organiser l’observation et l’analyse collective d’un corpus fourni par l’enseignant qui servira de matériau à la reconstitution inductive par les apprenants des règles déjà établies (par ex. la pronominalisation des GN des personne 3 et 6 j’ai eu certains problèmes : j’en ai eu certains). Les échanges produits dans ce cadre sont potentiellement révélateurs de la perception par les apprenants du fait de langue concerné.
  • Faire produire des observations « libres » sur corpus (à partir de fin A2 ou B1) permettant l’expression des hypothèses personnelles des apprenants, exprimées « avec leurs mots » sur le fonctionnement d’un fait de langue et probablement élaborées à partir de leur « perception » de la langue cible ou de la première langue étrangère. Ces activités réflexives des apprenants sont à concevoir comme exploratoires et ouvertes ; elles n’ont pas pour fonction la reconstitution par les apprenants de règles préétablies.
  • Dans toutes ces activités, les verbalisations des apprenants peuvent être dénaturées par les savoirs grammaticaux scolaires déjà acquis : les élèves « récitent » alors la grammaire déjà apprise.
  • On pourrait créer de la réflexivité métalinguistique plus facilement en organisant des activités de conceptualisation bi-plurilingue, faisant intervenir la langue cible mais au moins aussi une autre langue (en particulier la langue première). Comme de telles descriptions ne sont pas centrées sur la reconstitution d’une « règle », mais concernent des faits de langue non abordés dans cette perspective dans les grammaires du français, elles constituent un espace de réflexivité ouvert. En effet, ces verbalisations de descriptions « libres » des apprenants peuvent être élaborées à partir de la mise en relation de la langue cible avec la langue « maternelle » (mais avec aussi d’autres langues connues). Elles ont pour objet l’observation et la description d’un fonctionnement grammatical à partir de plusieurs langues, description que les apprenants n’ont très certainement pas déjà rencontrées dans les activités de grammaire française (par ex. faire réagir à : Il est huit heures ; sono le otto ; it’s eight o’clock ; son las ocho…)

Telle est la nature des témoignages que nous comptons réunir et faire partager.

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