Cette page présente et regroupe un ensemble de termes utilisés ailleurs dans cette grammaire et n’a pas vocation à présenter une analyse linguistique détaillée de la phrase et de l’énonciation. Le finnois et le français présentent dans l’ensemble de très grandes similitudes dans le domaine de la construction de la phrase et de l’agencement des éléments de l’énoncé.
L’énonciation ([puheen]vuoro) est l’acte par lequel un locuteur produit dans une situation de communication un message, un ensemble de « mots » (dans un sens très large du terme). Cette production (en finnois tuotos) est ce qu’on appelle l’énoncé (lausuma). L’énoncé est un discours ou une partie de discours, une phrase, un simple mot, une onomatopée (hop ! boum !) etc. Si deux personnes différentes prononcent la même phrase, il s’agit de deux actes d’énonciation différents et donc de deux énoncés différents.
L’acte d’énonciation implique un locuteur (puhuja) spécifique, qui dit quelque chose à quelqu’un (l’allocutaire, puhuteltava), à un moment spécifique, à un endroit spécifique, dans une situation spécifique. L’énonciation est liée à la réalité extralinguistique (le monde qui nous entoure, avec ses objets et ses phénomènes). L’énoncé est donc produit, à propos de quelque chose, par un sujet linguistique, le locuteur, celui qui dit je ; le moment spécifique où il produit son énoncé est pour lui le présent (son « maintenant »), et le locuteur désignerait l’endroit spécifique où il produit cet énoncé en disant « ici ».
Cet ensemble de repères de temps et de lieu forment ce qu’on appelle la situation de deixis (deiksis, d’un mot grec qui signifie « montrer ») : dans la deixis, je dit quelque chose à tu, ici et maintenant. Les relations temporelles se comprennent par rapport au présent du locuteur je. Si par exemple le lundi 16 juin le locuteur dit « hier j’ai fait une longue sortie en kayak », hier désigne le 15 juin. De même, s’il dit « dans deux semaines je pars en vacances », dans deux semaines signifie le 30 juin.
Dans la situation de deixis, divers éléments linguistiques peuvent renvoyer au moment ou à la situation de l’énonciation, notamment les adverbes ici et maintenant, les démonstratifs (cette lampe, qu’on peut montrer ou désigner à la personne à qui on parle), mais aussi des adverbes comme bientôt, demain, tout de suite, des prépositions comme dans (dans un an), il y a (il y a dix minutes), des compléments de phrase comme lundi, ce soir etc. Ces indicateurs sont appelés des déictiques.
L’énonciation de discours, terme qu’on simplifie souvent en discours, est l’énonciation qui engage le je du locuteur dans le temps de l’énonciation : je, tu, ici, maintenant, hier, demain.
À cela s’oppose l’énonciation historique, terme qu’on simplifie souvent en « récit », qui rapporte des faits détachés du moment de l’énonciation. L’énonciation historique est ce qu’on trouve dans un récit littéraire, une narration fictive, un écrit historique etc. Cette énonciation se caractérise par l’effacement du sujet de l’énonciation. Le locuteur n’est plus présent dans les évènements qu’il rapporte, le je et le tu sont effacés, et les protagonistes (tekijät) sont présentés à la personne 3/6 il(s)/elle(s). Le temps fondamental de l’énonciation historique est le passé simple (et les temps qui en dépendent). Exemple :
Discours : Hier, je t’ai vu passer dans la rue.
Récit : La veille, il le vit passer dans la rue/ La veille, il l’avait vu passer dans la rue.
Dans l’énonciation de type historique, on n’utilise plus des déictiques (deiktinen), qui renvoient au présent de l’énonciation, mais des mots du type il, là, alors, la veille, le lendemain, le lundi, le soir etc. Ces mots dénotent une référence anaphorique : ils renvoient « en arrière » (c’est le sens du mot anaphore, en finnois anafora) à des éléments qui doivent être connus pour que l’énoncé puisse être interprété. Ainsi, le mot cette peut avoir une interprétation différente selon le type d’énonciation :
(a) Depuis quand tu as cette voiture ?
(b) Depuis quand avait-il cette voiture ?
Dans la phrase (a), la référence est déictique, car la voiture est celle que je et tu peuvent voir dans la situation d’énonciation si cette phrase est dite par je, à qui tu montre sa nouvelle voiture.
Dans l’exemple (b), il s’agit d’une référence anaphorique. Pour comprendre de quelle voiture on parle, il faut connaitre un certain nombre d’éléments du contexte, par exemple une phrase précédente : Jean vit son voisin se mettre au volant d’une Tesla. Depuis quand avait-il cette voiture ? Le mot cette renvoie alors anaphoriquement à une Tesla.
Les pronoms ou les déterminants démonstratifs renvoient (viittaavat) de différentes façons à ce qu’ils désignent. On distingue généralement :
a. La référence déictique (deiktinen, de deixis, « le fait de montrer ») : le démonstratif ceci implique habituellement une situation d’énonciation de discours où quelqu’un montre quelque chose à quelqu’un d’autre. Quand je dit « ceci » en désignant quelque chose à tu, tous les deux, je et tu, peuvent identifier le contenu de ceci grâce à la situation d’énonciation, parce qu’ils peuvent voir/ entendre/ toucher ceci. De même, le pronom tu a une valeur déictique parce qu’il fait intrinsèquement référence à la personne à qui je dit « tu ».
b. Dans la référence anaphorique (anaforinen), le pronom renvoie (viittaa) à un antécédent (korrelaatti), c’est-à-dire à quelque chose qui a précédé dans le discours. Le groupe nominal ce joli chat gris peut ainsi être repris par divers pronoms à valeur anaphorique, dont le plus courant est le pronom IL, mais aussi le pronom relatif qui/dont, le mien etc.
Il existe aussi des pronoms comme personne ou quelque chose qui n’ont pas de valeur déictique ni de valeur anaphorique.
La relation anaphorique ne concerne pas seulement les pronoms. Des adverbes comme ainsi ou là-bas peuvent également établir une relation anaphorique. En finnois, ces adverbes sont d’ailleurs en général une forme du pronom anaphorique se (siten, siellä, silti, niin), et peuvent aussi être utilisés par exemple pour souligner le lien entre une proposition principale et une proposition subordonnée qui la précède.
On appelle « antécédent » (korrelaatti) l’élément ou l’objet de pensée auquel renvoie un pronom (ou un autre mot) dans la relation anaphorique. Cet antécédent peut être un groupe nominal, un autre pronom, un verbe, une proposition ou, de façon plus vague, une idée ou un élément sous-entendu qui peut se déduire du contexte ou d’autres indices. Dans les exemples ci-dessous, l’antécédent du pronom est en italique :
Toi tu es content, moi je le suis moins. ■ N’oublie pas de téléphoner → Je le ferai. ■ Les élèves ne sont pas habitués à ce qu’on leur fasse dses critiques. → Ils n’y sont pas habitués. ■ Nos jeunes voisins si sympathiques ont décidé de divorcer. → C’est bien triste.
L’antécédent n’est pas toujours exprimé. On peut imaginer par exemple quelqu’un qui rentre chez soi et découvre sur son bureau un paquet-cadeau, et dit à une autre personne : Ah, tu y as pensé ! Le pronom y renvoie ici par exemple à mon anniversaire, même si ce mot n’a été prononcé nulle part. Mais il peut se déduire de la date ou d’autres indices, par anaphore associative. La forme même de l’antécédent n’est pas forcément claire. Dans cet exemple, dans l’esprit du locuteur l’antécédent pourrait tout aussi bien être on est aujourd’hui le 22 janvier (« donc c’est mon anniversaire, et tu y as pensé »).
La cataphore (katafora) est le procédé inverse de l’anaphore : au lieu de renvoyer vers quelque chose qui a été dit ou mentionné antérieurement, un élément cataphorique annonce quelque chose dont on va parler. Le référent du mot cataphorique n’est donc pas connu avant qu’on connaisse l’élément qu’il annonce.
En finnois, on peut par exemple annoncer cataphoriquement une proposition relative spécifiante par un déterminant particulier : le déterminant cataphorique annonçant une proposition relative qui se rapporte à un antécédent défini est se, et le déterminant annonçant une relative qui complète un antécédent non défini est sellainen. Le français ne connait pas ce système et la différence entre les deux est marquée uniquement par l’opposition article défini / article indéfini :
antécédent défini | antécédent indéfini |
---|---|
se… joka le …qui |
sellainen … joka un… qui |
Important ! Ne pas traduire sellainen à valeur cataphorique par tel : *c’est une telle construction qui…, qui est agrammatical en français !
Hän on se luistelija, joka voitti kultaa. C’est le patineur qui a gagné la médaille d’or. ■ Relatiivilauseet ovat sellainen rakenne, joka tuottaa toisinaan vaikeuksia. Les propositions relatives sont une construction qui pose parfois des problèmes. ■ Älä puhu (sellaisista) asioista, joita et tunne. Ne parle pas de [= *de des] choses que tu ne connais pas.
L’erreur fréquente chez les finnophones consisterait à utiliser ce ou tel :
*Il est ce patineur qui a gagné la médaille d’or. ■ Les propositions relatives sont *une telle construction qui pose parfois des problèmes. ■ Ne parle pas de *telles choses que tu ne connais pas. ■ J’ai oublié de te rendre *ces livres que tu m’a prêtés. [comprendre : les livres que] ■ Cette expression se trouve dans *un tel texte où on parle des pronoms relatifs.
Dans la terminologie grammaticale française (et finlandaise) habituelle, la phrase (virke) est composée de deux éléments de base, le groupe nominal (GN, en finnois nominaalinen lauseke) et le groupe verbal (GV, en finnois traditionnellement (voir remarque ci-dessous) verbilauseke) :
GN Les enfants | GV jouent.
Le groupe nominal (GN) peut aussi être un simple pronom:
GN Je | GV lis.
Ces éléments de base peuvent être accompagnés par d’autres éléments, un adjectif, un autre groupe nominal, des adverbes, des propositions (sivulauseet) etc. :
GN La pluie abondante d’hier | GV a provoqué | GN des inondations catastrophiques | GN dans le sud du pays.
Remarque : dans sa description de la structure de la phrase en finnois, la grammaire VISK n’utilise pas la distinction traditionnelle GN / GV, ni même le terme de verbilauseke, voir VISK §443.
Cette définition décrit la forme ou la structure de base de la phrase. Mais ces éléments ont aussi une fonction l’un par rapport à l’autre, et cette fonction est décrite par les termes suivants :
Catégorie | Groupe nominal | Groupe verbal |
Je | lis. | |
Le chat | joue avec la balle. | |
Fonction | Sujet | Prédicat |
Je | lis. | |
Le chat | joue avec la balle. |
La phrase (virke) peut être divisée en sous-éléments, qu’on appelle des propositions (finnois lause). La phrase peut être composée d’une seule proposition, qu’on appelle alors proposition indépendante ; on peut également juxtaposer ou relier deux ou plusieurs propositions indépendantes par des conjonctions de coordination. Il s’agit alors de propositions indépendantes coordonnées :
Indépendante : Le vent souffle presque continuellement depuis deux mois.
Indépendantes juxtaposées : Il neige à gros flocons, je n’irai pas faire du ski.
Indépendantes coordonnées : Cet été, on ira visiter les Lofoten et on descendra vers Lille, via la Suède.
La phrase peut également comporter une proposition à laquelle est rattachée une autre proposition qui en dépend grammaticalement. La proposition dépendante est appelée « proposition subordonnée » (alisteinen lause) (en italique dans les exemples suivants). La proposition dont elle dépend est la « proposition principale » (hallitseva lause) :
Je pense que vous avez tort. ■ Si j’avais plus de temps, je rangerais enfin mon garage. ■ Après être rentrés, ils ont pris une douche et sont allés se coucher tout de suite.
(proposition) principale | halltitseva lause |
(proposition) subordonnée | alisteinen lause |
Dans la pratique grammaticale courante, on distingue souvent trois types de phrase : la phrase affirmative, la phrase négative et la phrase interrogative. On confond dans ce cas deux points de vue différents. En effet, les phrases peuvent d’abord être classées selon leur modalité (modaalinen lausetyyppi), c’est-à-dire selon la manière dont le locuteur présente le contenu. On distingue ainsi :
1) l’assertion (väitelause), à laquelle correspond la phrase assertive (deklaratiivi- eli väitelause) :
Dehors il pleut. ■ Cette forêt est belle. ■ Demain nous irons faire du ski.
2) l’interrogation, à laquelle correspond la phrase interrogative (interrogatiivilause) :
Est-ce qu’il pleut dehors ? ■ Cette voiture est-elle neuve ? ■ Quand est-ce qu’on ira faire du ski ?
3) l’ordre, auquel correspond la phrase impérative (imperatiivi- eli käskylause) :
Sortez prendre l’air ! ■ Arrête de chantonner !
4) l’ exclamation, à laquelle correspond la phrase exclamative (eksklamatiivilause) :
Qu’est-ce qu’il pleut ! ■ comme cette forêt est belle ! ■ Vous en avez mis, du temps !
Ces phrases peuvent être présentées à la forme affirmative (comme les exemples ci-dessus) ou à la forme négative :
Dehors, il ne pleut plus. ■ Cette forêt n’est pas très belle. ■ Demain nous n’irons pas faire du ski. ■ Ne sortez pas, il fait presque −35° ! ■ N’aviez-vous pas prévu de passer les fêtes en famille ? ■ Vous ne pensez pas que j’ai raison ?
Il ne faudrait donc pas opposer phrase interrogative et phrase affirmative, comme on le fait couramment, mais, par exemple, phrase interrogative et phrase assertive. La confusion s’explique parce que dans la langue courante le mot affirmation a couramment le sens de « chose qu’on affirme » (affirmation signifie donc aussi « väittämä » en finnois), et que le mot assertion ne fait pas forcément partie du vocabulaire de tous les jours.
On fait aussi la distinction entre les phrases nominales (exemple a), qui n’ont pas de verbe, et les phrases verbales, où le verbe est exprimé (exemple b) :
(a) Dans un mois, retour à Paris et installation dans le nouvel apparte.
(b) Il faudra demander de l’aide à quelques copains.
Le terme de saillance est utilisé en sémantique pour désigner la « visibilité » de tel ou tel élément d’un énoncé. Cette visibilité peut résulter de facteurs différents et très variés. Ces facteurs peuvent par exemple être visuels à l’écrit (on peut mettre un élément en gras), accentuels à l’oral (on peut appuyer sur un mot). Pour donner une plus grande saillance à un élément, on peut aussi varier l’ordre des mots, utiliser des constructions clivées (c’est ce livre que je veux (voir aussi la focalisation plate), ou d’autres procédés (utilisation du passif, dislocation etc.) qui sont abordés ailleurs dans cette grammaire.
La saillance dépend aussi de caractéristiques sémantiques intrinsèques : dans un énoncé, un nom propre a une plus grande saillance qu’un nom commun ; un nom à référent animé est plus saillant qu’un nom à référent non animé etc. La saillance caractérise également des éléments de l’énoncé même quand ils ne sont pas rendus particulièrement « visibles » par les procédés mentionnés ci-dessus. Il existe ainsi une hiérarchie des éléments d’un énoncé dépendant de leur fonction grammaticale, qui permet d’interpréter les relations anaphoriques et d’identifier l’antécédent d’un pronom ou d’une expression anaphorique (l’adverbe ainsi implique aussi une relation anaphorique). Ce phénomène se retrouve sous diverses formes et diverses réalisations dans toutes les langues. Il faut pouvoir déduire de qui ou de quoi on parle quand on utilise un pronom ou une expression anaphorique.
Sans entrer dans le détail (pour plus de détails, voir par exemple ici), on peut résumer cette hiérarchie des fonctions grammaticales de la manière suivante (de façon très schématique), en allant du plus saillant au moins saillant :
Sujet/agent - complément direct - complément prépositionnel - groupe prépositionnel (complément du nom ou autre)
En vertu de cette règle, la phrase (a) ci-dessous sera prioritairement interprétée comme (b) : le sujet je est par nature plus saillant que le complément de verbe direct l’. Cependant, la phrase peut aussi s’interpréter comme (c), si le contexte est clair (autrement dit, si le référent de l’ est évoqué dans le contexte d’une manière qui lui donne une saillance intrinsèque) :
(a) Je l’aime autant que toi.
(b) « Je l’aime autant que tu l’aimes. »
(c) « Je l’aime autant que je t’aime. »
Cette différence de saillance a des implications sur le choix du pronom anaphorique. Soient les phrases suivantes :
(d) Les éléments naturels ont une influence directe sur notre vie et ils finissent toujours par avoir le dernier mot.
(e) Nous dépendons des éléments naturels plus que ceux-ci ne dépendent de nous.
Dans la phrase (d), le groupe les éléments naturels est le sujet du verbe, et il est tout naturellement repris par ils. Dans l’exemple (e), le groupe éléments naturels est un complément prépositionnel. Pour cette raison, il n’a pas la même saillance que s’il était sujet en fonction de sujet. L’utilisation du pronom ceux-ci permet en quelque sorte de redonner une saillance nouvelle à cet élément. Cependant, la saillance reste suffisante, et on aurait pu dire également Nous dépendons des éléments naturels plus qu’ils ne dépendent de nous. En revanche, la saillance devient très faible quand le GN est complément du nom d’un autre GN dans un groupe prépositionnel ; dans ce cas, l’utilisation de celui-ci est presque la règle :
Le chercheur a présenté un exposé sur les résultats de son expérience et selon lui celle-ci ouvrait des perspectives très prometteuses.
Dans la première proposition, trois éléments sont plus ou moins saillants : le chercheur, un exposé, les résultats de son expérience. Si on disait et selon lui, elle ouvrait…, on resterait un moment à se demander à quel GN féminin renvoie le pronom elle, car les trois noms véritablement saillants (chercheur, exposé, résultats) sont tous du masculin. L’utilisation du pronom celle-ci, qui renvoie au GN le plus proche (expérience), permet donc de redonner « une visibilité » au mot expérience et d’établir sans difficulté la relation anaphorique GN-pronom.
8. L’énonciation et la phrase. Mise à jour 26.2.2024