Dans le discours grammatical, la notion d’ordre des mots désigne deux faits de langue différents :
1) l’ordre des mots syntaxique est un élément de la structure de base de la langue : en français, par exemple, le sujet précède normalement le verbe et le complément du verbe suit le verbe (ordre SVC, sujet-verbe-complément). Dans certains cas, le sujet peut être inversé, c’est-à-dire placé après la forme conjuguée du verbe.
La place respective (keskinäinen) des compléments directs et prépositionnels suit des règles générales assez strictes et la place de certains pronoms obéit aussi à des règles plus ou moins « mécaniques » ; cet ordre des mots syntaxique peut poser des problèmes de compréhension et de production chez les apprenants de français langue étrangère (finnophones ou autres).
2) L’ordre des mots qu’on pourrait appeler « discursif » décrit l’ordre dans lequel on présente les idées, les informations dans l’énoncé, c’est-à-dire ce qu’on dit. D’une façon générale, l’ordre des mots discursif suit les mêmes principes généraux en finnois et en français.
En finnois, on exprime le plus souvent les relations entre les éléments de la phrase à l’aide des cas (sijamuodot) de la déclinaison (mais aussi à l’aide d’adpositions), ce qui permettrait en théorie de placer les éléments de la phrase librement. C’est pourquoi on entend dire assez souvent que l’ordre des mots est libre en finnois. En réalité, l’ordre des mots en finnois suit un schéma de base régulier, sujet-verbe-complément (voir ci-dessous), exactement comme celui du français.
Dans les langues du monde on ne place pas les éléments de la phrase en fonction de l’humeur ou du temps, mais en fonction de ce qu’on veut dire et transmettre comme message. L’ordre des mots obéit à des besoins pragmatiques. En finnois et en français, on a tendance à placer l’information nouvelle (le propos) à la fin de l’énoncé. Il existe ainsi la même différence en français et en finnois entre les deux énoncés suivants :
Demain, je vais chez le coiffeur. Huomenna käyn kampaajalla.[Que fait je demain ?]
Je vais chez le coiffeur demain. Käyn kampaajalla huomenna.[Quand la peronne je va-t-elle chez le coiffeur ?]
À la fin de l’énoncé, le contenu du message est « focalisé », autrement dit il prend une importance plus grande. En français et en finnois, il existe différents procédés de focalisation qui permettent de placer le focus sur d’autres éléments de la phrase que le dernier élément : en français ce sont par exemple l’inversion du sujet, la place du complément de phrase, l’utilisation du passif, ou la dislocation etc. (ci-dessous).
En français, l’ordre des mots joue un rôle important du point de vue de la syntaxe, puisqu’il indique les fonctions grammaticales des différents éléments de la phrase. Le groupe nominal (GN) avant le verbe est en général le sujet du verbe, et le GN qui suit le verbe est normalement le complément du verbe. On appelle habituellement cet ordre de base l’ordre SVO (sujet-verbe-objet), où le mot objet est le terme qui désigne le complément du verbe dans la terminologie traditionnelle. Dans la présente grammaire, on utilise le terme de sujet-verbe-complément, abrégé SVC.
Quand le verbe peut recevoir plusieurs compléments, le complément direct (CVD) se place en première position après le verbe, puis vient le complément de verbe prépositionnel (CVP) (exemples a - d) ; certains verbes peuvent recevoir deux compléments prépositionnels, qui suivent alors un ordre précis et souvent fixe, défini par le verbe, et parfois même peut recevoir un troisième complément, qui se place alors en troisième position (exemple e) :
(a) Les enfants ont acheté des fleurs (CVD) à leur maman (CVP) à l’occasion de la fête des Mères.
(b) Le professeur a posé une question (CVD) à l’élève (CVP)
(c) J’ai acheté ce livre à mon frère pour mon père.
(d) Elle a parlé de ses projets à ses parents.
(e) Cet éditeur a fait traduire le livre (CVD) de l’italien (CVP1) en hongrois (CVP2).
Entre le sujet et le verbe, on ne peut placer qu’un pronom faible le, la, les, lui, leur, y, en et/ou l’adverbe négatif ne. La place des pronoms rien et tout obéit à des règles particulières. Contrairement au finnois et à l’anglais, entre le sujet et le verbe, on ne peut pas placer d’autre adverbe que l’adverbe négatif ne. Cependant, entre les formes pleines du pronom IL lui elle eux elles et le verbe, on peut placer les adverbes aussi ou non plus :
Lui aussi viendra. ■ Eux non plus ne sont pas intéressés.
En finnois, le pronom complément du verbe occupe la même position que le GN complément, mais en français, le pronom faible complément se place habituellement devant le verbe, ce qui est source de nombreuses difficultés pour les apprenants de français langue étrangère (voir Les pronoms) :
Lainasin kirjan ystävälleni. | J’ai prêté le livre à mon ami. |
Lainasin sen hänelle. | Je le lui ai prêté. |
Entre un pronom relatif et le verbe, on peut placer un pronom, un complément de phrase (groupe nominal ou adverbe) ou une proposition :
Ce sont là des questions qui, souvent, divisent les opinions. ■ Elle voulait aller en Inde avec un ami qui, lui, ne voulait pas. ■ Nous allons ce soir au concert, qui, je vous le rappelle, commence à 21 heures. ■ Ils n’ont toujours pas reçu les subventions que, faut-il le rappeler, on leur a accordées il y a deux ans déjà.
Dans la poésie, la chanson, l’opéra etc., les conventions littéraires permettent un ordre des mots assez libre, comme dans le début de la fable de La Fontaine Le Corbeau et le renard:
Maître Corbeau sur un arbre perché
Tenait en son bec un fromage.
Maître Renard, par l’odeur alléché,
Lui tint à peu près ce langage…
L’ordre normal serait : perché sur un arbre et alléché par l’odeur. Dans l’exemple suivant (de La Fontaine également) on trouve un CVP entre le sujet l’insecte et le verbe se retire, ce qui n’est normalement pas admis dans la langue courante :
L’insecte du combat se retire avec gloire. (Le Lion et le Moucheron)
= L’insecte se retire du combat avec gloire.
Les règles présentées ci-dessus sont les principales contraintes de l’ordre des mots en français. Pour le reste, les compléments de phrase et de nombreux adverbes peuvent se placer plus ou moins librement. La place de ces éléments dépend essentiellement du focus, c’est-à-dire de l’information « nouvelle » qu’on veut transmettre. Le choix de l’ordre des mots peut parfois aussi obéir à de simples contraintes sémantiques. Ainsi la phrase :
Vous m’envoyez le formulaire de publication signé par la poste.
pourrait s’interpréter ainsi : « vous m’envoyez le formulaire une fois qu’il a été signé par la poste ». Une telle ambigüité n’existerait pas si le nom publication n’était pas suivi d’un participe passé :
Vous m’enverrez le formulaire de publication par la poste.
Pour supprimer l’ambigüité, on peut changer l’ordre des mots ou utiliser des virgules (qui correspondent à des pauses à l’oral) :
Vous m’enverrez, par la poste, le formulaire de publication signé.
Vous m’enverrez le formulaire de publication, signé, par la poste.
Le deuxième type de variation de l’ordre des mots dans l’énoncé dépend de la manière dont on présente les idées, en variant l’ordre des parties du discours. On peut ainsi déplacer l’attention (le focus) sur un élément plutôt que sur un autre.
Dans un énoncé, en général on dit 1) quelque chose 2) au sujet de quelque chose. L’énoncé contient normalement une partie qui est connue (ou impliquée), et une partie nouvelle, qui constitute l’information. Souvent, le sujet de la phrase est la partie connue. Ce n’est pas un hasard si le mot sujet désigne à la fois l’actant du verbe (finnois subjekti) et le thème (le « sujet », finnois aihe) ) de l’énoncé. Exemple :
Le voisin est en train de tondre le gazon.
L’élément Le voisin est posé comme sujet (dans l’énoncé, il représente la partie déjà connue), et ce qu’on en dit est qu’il est en train de tondre le gazon. On utilise pour décrire ces éléments de l’énoncé les termes suivants :
Les termes utilisés pour décrire cette opposition sont variés et dépendent des écoles linguistiques et des approches. En plus de thème/propos, on trouve les variantes thème/ prédicat, thème/rhème, topique/commentaire.
En français comme en finnois, le thème est en général placé au début de la phrase, et le propos (l’information nouvelle), à la fin de la phrase. Les deux langues se ressemblent nettement sur ce point. L’ordre des mots du français pose ainsi moins de problèmes aux finnophones que celui de l’allemand ou du suédois, par exemple. Dans l’exploitation des procédés de focalisation, il y a cependant parfois des différences importantes entre le français et le finnois, voir La focalisation plate.
L’opposition entre thème et propos joue un rôle important dans la façon de présenter le message contenu dans l’énoncé, et donc un rôle important dans l’ordre des mots. En effet, le thème n’est pas toujours le sujet grammatical du verbe de la phrase. Cela peut être par exemple un complément de phrase. Si on compare les deux phrases suivantes :
(a) Demain, je vais à la piscine.Huomenna käyn uimassa.
(b) Je vais à la piscine demain.Käyn uimassa huomenna.
dans la phrase (a) le thème est demain, et le propos je vais à la piscine ; la phrase répondrait à la question Qu’est-ce que tu fais demain ? Dans la phrase (b), le thème est je vais à la piscine, le propos est demain ; la phrase répondrait à la question Quand est-ce que tu vas à la piscine ? Le fait d’avoir placé le complément de phrase en tête de phrase a transformé celui-ci en thème, on dit qu’il est thématisé, par un procédé qu’on appelle la thématisation.
Inversement, le fait de placer l’adverbe demain à la fin de la phrase montre que l’information nouvelle est contenue dans cet adverbe, comme si on voulait attirer l’attention sur cet élément de la phrase (à l’oral, le mot demain sera légèrement accentué). On dit ainsi que le focus se trouve sur demain, cet adverbe est ainsi focalisé, par un procédé de focalisation (on utilise aussi souvent le terme de mise en relief, esille tuominen, korostaminen).
Le procédé de focalisation le plus simple est de varier l’ordre des mots. Cet ordre peut varier dans la limite des règles syntaxiques de base présentées ci-dessus. Un élément placé en tête de phrase est généralement thématisé. C’est le cas en finnois comme en français. Le focus est alors placé sur l’élément qui se trouve en fin de phrase. On peut ainsi facilement déplacer les compléments de phrase ou les adverbes au début de la phrase pour mettre le focus sur l’élément en fin de phrase (en italique dans les exemples suivants) :
À Noël, nous irons en Laponie.
En Laponie, il y a beaucoup de moustiques en été.
Très lentement, il se leva et étendit sa jambe endolorie.
On peut aussi thématiser le complément de verbe prépositionnel en le plaçant en tête de phrase :
À ses enfants, il avait offert un weekend à Florence.
S’il y a plusieurs compléments de phrase, ils peuvent constituter deux thèmes, dont le premier a une plus grande importance que le deuxième. Dans la phrase suivante, on parle de la Laponie, puis on réduit le thème à l’été et on dit ce qui se passe (propos) :
En Laponie, en été, il y a beaucoup de moustiques.
À l’oral, le procédé de focalisation le plus simple à utiliser est l’intonation : dans la réalisation orale d’un énoncé, on peut mettre le focus librement sur pratiquement n’importe quel élément de la phrase sans avoir besoin de changer la place de cet élément, en le prononçant de manière plus forte ou plus appuyée (korostetusti) (ces éléments sont figurés en couleur dans les exemples) :
Demain, je vais à la piscine. = Je vais à la piscine demain.
Moi, je ne le lui ai pas caché. = je ne le lui ai pas caché.
C’est elle qui m’a dit ça. = elle m’a dit ça.
C’est là qu’on s’est arrêtés. = On s’est arrêtés là.
On peut ainsi mettre en relief même le verbe, ce qui n’est pas réellement possible avec les autres procédés de focalisation habituels :
Je te signale que j’ai ciré le parquet. [sous entendu : « et pas simplement balayé »]
On utilise la mise en relief par l’intonation principalement quand on veut préciser ou corriger un énoncé antérieur produit par quelqu’un d’autre (reprise diaphonique). Si on dit « ELLE m’a dit ça », en appuyant particulièrement sur ELLE, cela implique qu’on avait dit auparavant que c’est quelqu’un d’autre qui avait dit ça (son frère, un ami, tu etc.), et qu’on veut corriger l’assertion.
Malgré sa simplicité, l’intonation n’est donc pas utilisée systématiquement. Elle ne fonctionne réellement que dans l’expression orale. À l’écrit, il faut utiliser des procédés graphiques (capitales, gras), ce qui n’est pas toujours possible. Pour rendre avec des moyens autres qu’intonatifs l’idée de la phrase Je te signale que j’ai ciré le parquet, on pourrait dire par exemple :
Je te signale que j’ai ciré le parquet, et pas simplement balayé. Ou :
Je te signale que j’ai non seulement balayé le parquet, mais que je l’ai aussi ciré.
Dans le code écrit, l’un des procédés qui permet de déplacer le focus sur le complément du verbe est la transformation passive. Le complément direct du verbe actif devient le sujet du verbe au passif (donc, par défaut, le thème), et le sujet devient l’agent (le propos) :
Mes parents ont racheté la maison.
[Thème : mes parents, propos : le rachat de la maison]
La maison a été rachetée par mes parents.
[Thème : le rachat de la maison, propos : les parents]
La transformation passive est cependant limitée par une contrainte importante : pour que le complément puisse devenir le sujet du verbe au passif, il faut que ce soit le complément direct du verbe actif. Un complément prépositionnel ne peut pas devenir le sujet du verbe au passif (voir exemples).
Cependant, il existe des constructions qui permettent aussi de « passiver » un complément de verbe prépositionnel, donc de varier la focalisation :
On a volé son sac à Lucas. [focus sur Lucas].
Lucas s’est fait voler son sac. [focalisation de sac]
Le service d’ordre a refusé l’entrée aux supporters. [focus sur les supporters]
Les supporters se sont vu refuser l’entrée par le service d’ordre. [focalisation de service d’ordre].
Au total, la transformation passive, avec ses variantes, permet d’obtenir des effets de sens très divers (voir Le passif).
Contrairement au finnois, en français on ne peut pas thématiser le sujet ou le complément de verbe direct simplement en variant l’ordre des mots, car cet ordre a un rôle syntaxique et change le sens : Le voisin a rencontré Jean et Jean a rencontré le voisin ne signifient pas la même chose. De plus, le sujet en tête de phrase est souvent par nature le thème et il n’a généralement pas besoin d’être thématisé de façon particulière.
Dans le français parlé, on utilise relativement peu le passif, et le procédé de focalisation le plus fréquent est la dislocation (lohkeamarakenne). Ce procédé permet de mettre facilement le focus sur des éléments comme le sujet ou le complément du verbe en utilisant un procédé très courant :
1. on détache l’élément du reste de la phrase (à l’écrit par une virgule, à l’oral par l’intonation) :
2. Éventuellement, on utilise un pronom de rappel qui indique la fonction que le groupe détaché aurait dans la phrase, s’il n’était pas détaché. En effet, étant extérieur à la structure verbale, l’élément thématisé n’a pas de fonction grammaticale par rapport au verbe.
Le plus fréquemment, la thématisation par dislocation se fait en détachant un élément au début de la phrase, en prolepse. On parle dans ce cas de dislocation à gauche (lohkeama alkuun). Le constitutant de phrase détaché en prolepse (appelé en finnois syntaktinen etiäinen) est alors repris par un pronom. On obtient ainsi à partir de la phrase (a) les variantes suivantes, avec des GN et des pronoms :
Dislocation à gauche de groupes nominaux
(a) Mes parents ont vendu leur maison.
(b) Mes parents, ils ont vendu leur maison.
(c) Leur maison, mes parents l’ont vendue.
(d) Mes parents, leur maison, ils l’ont vendue.
Dislocation à gauche de je ~ te
(a’) Je te connais.
(b’) Moi, je te connais.
(c’) Toi, je te connais.
(d’) Toi, tu me connais. (voir remarque ci-dessous)
Dislocation à gauche de je ~ le
(a”) Je le connais.
(b”) Moi, je le connais.
(c”) Lui, je le connais.
(d”) Lui, il me connait.
La phrase (b) avec le sujet en prolepse est typique du français parlé et inusitée à l’écrit. La phrase (c) avec mise en prolepse du CVD, se rencontre assez fréquemment à l’écrit quand le CVD est un GN :
Mes jeunes années, je les ai passées entre ma famille, l’école et le sport.
Le pouvoir, on le prend plus souvent par la force que par la ruse.
Mais la mise en prolepse d’un pronom (b’-d’ et b”-d”) est plutôt typique du français parlé. La thématisation du pronom sujet (moi, je suis pas d’accord / lui, il part demain / nous, on pense que c’est faux) est très fréquente, et elle est devenue un moyen d’expression assez banal, qui a beaucoup perdu de sa valeur de thématisation. Sur la forme des pronoms et le mécanisme de détachement et de rappel, voir le pronom IL et les pronoms personnels je tu on nous vous.
La phrase (d) est une variante de (c) utilisée uniquement dans le français parlé. On peut ainsi thématiser de cette façon toute sortes d’éléments de la phrase :
La voiture de mon frère est rouge. → Mon frère, sa voiture, elle est rouge.
[Thématisation du complément du nom, français parlé uniquement].
Quand l’élément thématisé est un complément prépositionnel (complément de verbe ou de phrase), le fait de le placer en tête de phrase est un procédé courant à l’écrit aussi et on ne peut pas parler réellement de dislocation :
À ses amis, il avait offert un weekend à Florence. ■ En Laponie, en été, il y a beaucoup de moustiques.
La dislocation à gauche est également un procédé couramment utilisé avec les propositions complétives :
Qu’il obtienne son permis du premier coup, ça m’étonnerait. ■ Que vous avez toujours été opposé à ce projet, nous le savons.
On peut également rejeter un certain nombre d’éléments en fin de phrase, en position de rappel, c’est ce qu’on appelle la dislocation à droite (lohkeama eteenpäin). Contrairement à la dislocation à gauche, la dislocation à droite focalise l’élément en tête de phrase, le propos vient donc avant le thème. Mais le focus reste toujours sur le même élément, c’est pourquoi la dislocation à droite est moins fréquemment employée, car le résultat quant au contenu de l’énoncé reste le même qu’avec la dislocation à gauche. Le locuteur rappelle ou ajoute un élément (défini en finnois par le mot lisäys), alors que la phrase est déjà presque « terminée », comme pour garantir que le thème a été bien identifié. C’est pourquoi la dislocation à droite est typique de l’oral et quasiment inusitée à l’écrit :
Jean n’est pas bête. [phrase normale]
Jean, il est pas bête. [dislocation à gauche]
Il est pas bête, Jean. [dislocation à droite]
La dislocation à droite peut porter sur divers éléments et peut être utilisée en même temps que la dislocation à gauche :
Ils l’ont pas encore vendue, leur maison, mes parents. ■ La maison, ils l’ont enfin vendue, mes parents. ■ Mes parents, ils l’ont enfin vendue, leur maison. ■ Elle est rouge, sa voiture, à mon frère. ■ Lui je le connais bien, moi. ■ Lui, il me connait bien, moi. ■ Tiens, je t’avais pas vu, toi. ■ Mais je t’avais pas vu, moi ! ■ Et t’es allé lui dire ça, à lui ? ■ Il me casse les pieds, ce type.
Rem. On utilise obligatoirement la dislocation à gauche et à droite quand le sujet et le complément du verbe sont tous deux des formes focalisées de pronoms personnels. On ne dit pas *Moi, toi je t’avais pas vu ou *Toi, moi je t’avais pas vu, mais Moi, je t’avais pas vu, toi ou Toi, je t’avais pas vu, moi.
Les éléments en rappel n’ont pas le même rôle que si la phrase est prononcée sur une seule ligne mélodique, avec insistance sur le dernier élément, autrement dit, les éléments disloqués ne fonctionnent pas comme un complément de phrase. Comparer :
Il y a beaucoup de moustiques en Laponie en été. [Information : en été]
Il y a beaucoup de moustiques, en Laponie, en été. [Information : il y a beaucoup de moustiques]
Dans certains cas, dans la dislocation à droite, le sujet il ou ça du verbe peut être supprimé devant le verbe qui se retrouve en tête de phrase, dans le registre familier ou très familier :
Casse les pieds, ce machin ! ■ Fait braire, ce type ! ■ Ooh, fait suer, ce truc, à la fin ! ■ M’énerve, cette pub !
Cet emploi diffère cependant des constructions avec suppression de l’indice de personne verbale, car ici le pronom sujet est un vrai pronom anaphorique, qui est simplement sous-entendu.
La dislocation à droite s’utilise aussi dans des phrases nominales, fréquentes à l’oral, notamment sur le mode exclamatif. Le propos, qui est le plus souvent un adjectif attribut (le verbe être est sous-entendu), se trouve ainsi en tête de phrase :
Excellent, ce bordeaux ! ■ Pas folle, la guêpe ! ■ Pas con, ce type ! ■ Pas mal, ce film. ■ Vraiment pas facile, cet examen ! ■ Quel délice, cette confiture ! ■ Incroyable, ce qu’il a dit !
On peut ainsi focaliser un adjectif, un adverbe ou un déterminant, en le plaçant en tête de phrase et en mettant le verbe en rappel ; dans ce cas, le verbe est souvent précédé de la conjonction que :
Blanc de peur, il était, je te dis ! ou : Blanc de peur, qu’il était, je te dis ■ Rouge, elle est la voiture à mon frère ou : Rouge, qu’elle est, la voiture à mon frère. ■ À toute vitesse, qu’il est sorti ! ■ Un peu, qu’il était pas d’accord ■ Trois seulement, que je voulais, des bananes. ■ Deux seulement, qu’il restait de places.
Le dernier exemple doit se comprendre en réponse à la question Combien il restait de places ? Dans la réponse, on précise seulement le contenu de Combien ? en indiquant le nombre (deux), et en maintenant le reste de la structure inchangé (… de places, le mot de est le second élément de combien de, avec le mot combien sous-entendu). Si on utilisait le pronom en, on mettrait l’article indéfini : Deux, qu’il en restait, des places.
Dans le français parlé, on peut ainsi mettre en rappel le verbe d’une proposition principale après la complétive. Dans ce cas aussi, on utilise la conjonction que, mais elle n’est pas obligatoire :
Je veux rentrer chez moi, qu’il disait. ou Je veux rentrer chez moi, il disait. ■ J’en ai ras le bol, j’en ai ras le bol, qu’elle répétait. ou J’en ai ras le bol, j’en ai ras le bol, elle répétait.
La dislocation à droite s’utilise fréquemment avec un infinitif. Dans ce cas, cet infinitif est obligatoirement précédé de la conjonction de ou de la préposition qui l’introduit normalement :
Ce serait finalement pas une si mauvaise idée pour lui, de changer de boite [de conjonction] ■ Mais ça me dit rien, moi, de partir ! [de conjonction] ■ Tu parles que j’en aie envie, moi, de me taper tout ce travail de nouveau [avoir envie de, préposition] ■ Non mais franchement, c’est d’un dégueulasse, de faire ça à un chien. [de conjonction] ■ Il ne faut pas vous imaginer qu’ils n’ont rien d’autre à faire que d’y penser, eux, à déménager [penser à, préposition].
La dislocation s’utilise couramment dans l’interrogation directe. Le plus souvent, elle peut être indifféremment à gauche ou à droite, car le focus est sur la partie interrogative proprement dite, qui représente toujours le propos :
Ta voiture, ça a couté combien ? ■ Bon, Jean, il vient ou il vient pas ? ■ Ça se mange comment, les artichauts ? ■ Ça/Il s’ouvre comment, ce truc ? ■ Ça s’achète où, ce produit ? ■ C’est cher, ces bouquins ? ■ Ils partent quand, les voisins ? ■ Vos amis, ils arrivent à quelle heure ? / À quelle heure ils arrivent, vos amis ?
Dans l’interrogation partielle, on utilise aussi fréquemment constructions interrogatives clivées avec dislocation, souvent quand on veut vérifier une chose dont il a été question antérieurement :
C’est quand qu’ils partent, les voisins ? ■ C’est où que ça s’achète, ce bidule ?
Dans ce cas-là, on ajoute souvent l’adverbe déjà, qui correspond au sens de la particule enclitique (‑kA)hAn en finnois :
C’était quand déjà qu’ils arrivent, tes parents ? Millonkahan sun vanhemmat oli tulossa? ■ C’est qui déjà qui t’avait dit ça ? Kukahan sen sanoi sulle?
La question avec dislocation à gauche et/ou à droite est une manière banale et très typique de poser une question dans le français parlé. Cependant, elle nécessite une bonne connaissance de nombreuses règles grammaticales fondamentales (concernant la forme des pronoms focalisés, par exemple). Elle nécessite aussi une compréhension des structures et des habitudes du français parlé, qui ne s’acquiert que par une assez longue pratique. La forme clivée, par exemple, ne peut pas non plus s’utiliser dans toutes les formes de question. Il faut donc employer les questions avec dislocation avec une certaine prudence.
En plus de l’ordre normal SVC, on utilise en français relativement souvent des constructions où le sujet est inversé, c’est-à-dire placé après le verbe. L’inversion du sujet n’est pas obligatoire et elle s’utilise essentiellement dans le code écrit. Elle n’est possible normalement qu’avec des verbes intransitifs (qui ne peuvent pas recevoir de complément de verbe), des verbes au passif ou des verbes avec pronom réfléchi.
Le sujet d’un verbe intransitif ou passif peut être inversé quand la proposition débute par un complément de phrase, ce qui permet de mettre le focus sur le sujet (voir les règles concernant la ponctuation) :
Au premier étage se trouve un atelier de luthier. ■ Peu après arrivèrent les premiers invités. ■ Autour de l’arbre s’était enroulé un chèvrefeuille. ■ Une heure plus tard se produisit un évènement imprévu.
C’est également le cas après de nombreux adverbes exprimant le temps et le lieu, comme alors, bientôt, ensuite, enfin, parfois, ici, là, dehors, dedans, ailleurs :
Ensuite seront désignés les lauréats. ■ Bientôt s’ouvrira pour nous une ère nouvelle.■ Là moururent beaucoup de soldats. ■ Dehors s’affrontaient Français et Prussiens.
Rem. Dans le dernier exemple ci-dessus, on voit l’utilité de cette possibilité d’inversion. Si on mettait l’adverbe en fin de phrase, Français et Prussiens s’affrontaient dehors, la phrase serait légèrement comique, parce qu’elle signifierait que les batailles militaires peuvent se passer à l’intérieur ou à l’extérieur, et que dans ce cas-ci, la bataille se passait à l’extérieur (dehors).
Le rejet du sujet en position inversé peut aussi être dû au fait que le sujet est nettement plus long que le verbe et que le verbe ne décrit pas une action ou un évènement, mais un simple état de fait (asiaintila), comme se trouver, être etc., ou bien s’il a un sens trop général (faire, aller) et ne décrit pas une véritable action. L’inversion du sujet est fréquente dans les propositions complétives, dans les propositions relatives et dans l’interrogation indirecte :
J’ai vu bouger tous ceux qui n’étaient pas d’accord. ■ Je ne sais pas où sont allés nos voisins. ■ C’est le film dont nous ont parlé nos amis.
Dans ces cas, l’inversion du sujet place le focus sur l’information en fin d’énoncé :
(1) À côté se trouve la statue dont tu as si souvent entendu parler dans les journaux.
(2) La statue dont tu as entendu si souvent parler dans les journaux se trouve à côté.
L’exemple (1) répondrait à la question qu’est-ce qu’il y a à côté ?, l’exemple (2) à la question où se trouve la statue ? De même :
De là vient que le sujet est souvent rejeté en fin de phrase. [information : le rejet du sujet]
L’inversion permet aussi d’éviter que le focus se trouve sur le verbe, si celui-ci a un sens trop général ou s’il est un élément d’une locution verbale (et donc sans signification à lui tout seul) :
Nous regardions tomber la pluie. ■ Laissez partir les gens qui ont fini.
Le fait de conserver l’ordre des mots normal (sujet-verbe) focaliserait le verbe : Nous regardions la pluie tomber signifierait que la pluie pourrait faire autre chose que tomber. Ce n’est pas impossible : on pourrait dire Nous regardions la pluie dégouliner le long de la vitre, mais en général, par défaut, la pluie tombe.
De la même manière, Laissez les gens qui ont fini partir aurait un sens étrange : la phrase supposerait que les gens qui ont fini ont le choix entre diverses activités : chanter, jouer, partir etc., alors que la phrase Laissez partir les gens qui ont fini signifie (par exemple) : « ceux qui peuvent maintenant quitter la salle sont ceux qui ont fini leur examen ».
Le plus souvent, cependant, l’inversion n’est pas possible, à cause de la structure de la phrase ou de la présence d’un complément de phrase etc. Voir ci-dessus.
Dans le code écrit, quand les adverbes suivants se trouvent en tête de phrase (ou de proposition) :
aussi niinpä / siis
ainsi siten / siis
peut-être egkä
du moins ainakin
de même samoin / myös
le sujet du verbe est généralement inversé. exemples :
Aussi la France doit-elle réagir face à la montée du chômage. ■ Aussi les gens ont-ils mal accepté cette décision. ■ Ainsi est-il revenu s’installer dans son pays natal. ■ Peut-être avez-vous mal compris. ■ Peut-être cette théorie nous permettra-t-elle de mieux prévoir les modifications dans la structure des réseaux cristallins. ■ Du moins avons-nous tenté tout ce qui pouvait l’être.
Plus rarement, les locutions adverbiales à plus forte raison ( sitä suuremmalla syyllä ) et aussi bien (dans le sens de « par conséquent ») peuvent également entrainer l’inversion du sujet :
Si le sentiment et la sensibilité sont insuffisants pour guider notre conduite, à plus forte raison sont-ils incapables de fournir le principe même de l’évaluation. ■ L’accès aux sources, les contacts avec les chercheurs, avec les auteurs ne se concevraient pas pour nous autrement. Aussi bien est-il inutile d’expliquer aux scientifiques qu’il faut enrichir les contenus.
L’inversion du sujet après les adverbes mentionné ci-dessus n’est cependant pas obligatoire. Dans la langue courante, mais aussi dans le code écrit strict, on peut utiliser l’ordre des mots normal après ces adverbes en tête de phrase. Dans ce cas-là, à l’écrit l’adverbe est éventuellement suivi d’une virgule, qui s’ entend à l’oral par une pause suspensive dans l’intonation :
Dans notre chalet, il n’y a pas l’électricité. Ainsi, nous n’avons pas besoin de regarder la télévision. ■ L’égoïste n’aime que lui, aussi, tout le monde l’abandonne.
Dans le français parlé, la manière la plus courante d’utiliser l’adverbe peut-être en tête de phrase est de le faire suivre de que. Le groupe peut-être que forme une locution invariable suivie de l’indicatif :
Peut-être que vous avez raison. ■ Peut-être que cette fois l’avion sera à l’heure. ■ Quand je serai grande, peut-être que je deviendrai astrophysicienne. ■ Si j’ai le temps, peut-être que je viendrai.
Cet emploi est relativement fréquent dans le code écrit aussi. Cependant, dans le code écrit strict, on préfère utiliser l’inversion du sujet ou la construction avec indice de personne verbale il se peut que avec un verbe au subjonctif : Il se peut que vous ayez raison etc.
Sous l’influence des constructions présentées ci-dessus et aussi sous l’influence du finnois, où l’adverbe peut se placer très librement (en fonction du mot sur lequel on veut le faire porter), de nombreux apprenants de français langue étrangère finnophones, débutants ou avancés, utilisent de façon erronée un certain nombre d’adverbes en tête de phrase : alors, aussi, quand même etc.
Les erreurs sont dues à deux raisons : soit ces adverbes ne peuvent pas ou peuvent difficilement être utilisés en tête de phrase (par exemple également), soit ils peuvent se trouver à cette place mais ont alors un sens nettement différent de celui que les finnophones leur attribuent. Par exemple seulement en tête de phrase a un sens adversatif (« cependant ») et ne traduit pas du tout l’adverbe finnois vain. Voir les adverbes à éviter en tête de phrase.
Dans le cas de certains verbes exprimant un mouvement ou un état, comme venir, survenir, arriver, suivre, rester, on peut inverser le sujet quand celui-ci est un GN ou un pronom autre qu’un pronom faible. Le verbe se place en début de phrase :
Suivit un long silence. ■ Les visiteurs partis, ne restèrent avec nous que mon frère et sa femme. ■ Viendra le temps où le port du casque sera obligatoire pour les cyclistes.
Les indications scéniques dans les textes des œuvres dramatiques sont en général données de cette façon :
Entrent deux jeunes filles.
Bien que cet emploi relève surtout du code écrit, on en trouve également des exemples dans le français parlé, surtout avec les verbes arriver et entrer (par une sorte d’imitation du langage théâtral) :
Et alors à ce moment-là, arrive mon père.
Cette construction avec verbe en début de phrase peut paraitre surprenante à l’apprenant de français langue étrangère, mais elle est fréquente à l’écrit :
Viennent ensuite divers types de verbes irréguliers. ■ À cela s’ajoutent de nombreux cas qui n’ont pu être confirmés. ■ Restent encore à résoudre deux problèmes.
Ces expressions avec sujet inversé après les verbes venir ou s’ajouter sont parfois très pratiques et utiles pour rendre le finnois Sen lisäksi en tête de phrase dans la rédaction écrite. Autres exemples avec inversion du sujet :
Suivait une liste de propositions. ■ Viennent ensuite les chapitres consacrés à l’histoire des religions. ■ Y sont également inclus les différentes options pour le master de biologie. ■ Le prix principal du concours Best of Swiss Web 2019 revient à Ergon informatik. S’y ajoutent également d’autres distinctions importantes dans les catégories innovation, qualité et secteur public. ■ Sont aussi de la culture au sens large du terme les éléments qui concernent la vie quotidienne. ■ Nous avons sélectionné les meilleures pizzas de St Germain des prés et des trattorias de l’Ouest parisien. Figurent aussi dans notre palmarès quelques électrons libres recommandés par de fins pizzavores. [Le Figaro]
Dans le code écrit, l’adjectif attribut peut se placer en tête de phrase. Ceci n’est possible qu’avec un nombre limité d’adjectifs :
Grande fut ma surprise ! ■ Heureux sont ceux qui peuvent prendre leurs vacances quand ça leur chante ! ■ Impénétrables sont les décisions de l’administration et impraticable reste la route qui mène au terrain de golf. [relevé dans un blog] ■ Telle est la proposition que nous soumet le conseil d’administration.
Une proposition incise est une proposition généralement très courte, constitutée d’un verbe sans complément et d’un sujet, qu’on insère dans une autre proposition pour donner des indications sur la personne qui parle ou préciser le propos d’une manière quelconque. Le plus souvent, l’ordre des mots est inversé, bien qu’on trouve quelques cas avec l’ordre SVC :
a. La proposition incise sert souvent à ajouter un commentaire sur le contenu de la phrase, par lequel le locuteur prend une certaine distance par rapport au contenu :
Les syndicats sont, parait-il, disposés à accepter des négociations par secteur. ■ Après analyse des résultats, il reste, semble-t-il, très peu d’indices permettant d’incriminer le virus H1N1. ■ On parle beaucoup de taxer davantage les riches, ces temps-ci. Ce serait, dit-on, la solution magique à tous nos problèmes.
b. Dans le code écrit, dans un récit, on utilise souvent des propositions en incise ou en fin de phrase pour indiquer qui parle ou comment on dit quelque chose (dire, crier, hurler, ajouter etc.). Dans ces indications de dialogue, le sujet est régulièrement placé après le verbe :
Arrêtez-vous, hurla le gendarme en pointant son arme. ■ Qu’allons-nous faire, demanda-t-il ? – Rien ! répondirent-ils. ■ Tu vois, Gil Blas, ajouta-t-il, que je te découvre mon cœur. ■ Creusez, au lieu de rêvasser ! aboya le sergent.
Il ne s’agit cependant pas du même type d’inversion que dans le cas des interrogatives : on n’ajoute pas de pronom il/elle après le verbe si le sujet est un mot autre qu’un pronom faible (Ton fils fait-il du foot ?). Il s’agit d’une véritable inversion simple.
c. Dans le français parlé, ces indications dialogiques s’utilisent parfois aussi, mais on y utilise l’ordre normal SVC, et on les introduit souvent (mais pas toujours) par la conjonction que :
Je veux partir seul, qu’il a dit, alors on l’a laissé partir seul. ■ C’est pas croyable, ils ont dit, on vient vous aider, et vous, vous nous foutez dehors. ■ Je suis crevé, je suis crevé, qu’il répétait, et tout le monde se marrait.
d. C’est ce même genre d’incises que représentent les expressions de remplissage voyez-vous (katsos, näet), parait-t-il (kuulemma), dirait-on (näköjään) utilisées dans la langue courante (parait-il est plutôt du style familier) :
Nous avons perdu du temps pour trouver un endroit où manger. Ma femme, voyez-vous, veut absolument déjeuner dans des petits restaurants typiques. ■ La Commission a, parait-il, lancé une étude il y a un certain temps. ■ J’avais trouvé le tout nouveau Samsung mais il ne sortira jamais en France, dirait-on. Ça devient urgent vu que mon téléphone commence à rendre l’âme. ■ La réunion mondiale pour la sécurité aura lieu, dirait-on.
Remarque : dans le français parlé, ces incises avec inversion sont souvent rétablies à la forme SVC suivie de la conjonction que (emploi similaire à peut-être que), notamment les formes semble-t-il que et parait-il que, suivies de l’indicatif. Mais ces formes sont à éviter dans le code écrit strict.
Dans les exclamations, on utilise souvent l’inversion :
Suis-je bête ! ■ Combien de candidats avons-nous dû refuser !
L’inversion n’est cependant jamais obligatoire dans les tournures exclamatives, car on peut utiliser des mots introducteurs comme que ou comme, après lesquels on utilise l’ordre normal SVC :
Que je suis bête ! ■ Combien de candidats nous avons dû refuser !
On utilise aussi l’inversion dans certaines propositions adverbiales conditionnelles ou concessives et dans des propositions adverbiales temporelles :
L’eût-il voulu, il n’eût pas pu faire autrement. Hän ei olisi voinut tehdä eri tavoin, vaikka olisi halunnut. ■ L’inversion, si fréquente soit-elle, relève du code écrit. ■ À peine étais-je arrivé dans mon bureau que le téléphone se mit à sonner.
Dans le code écrit courant et le français parlé, on utilise plutôt l’ordre des mots normal :
Il l’aurait voulu, il n’aurait pas pu faire autrement. ■ L’inversion, si fréquente qu’elle soit, relève du code écrit. ■ À peine j’étais arrivée dans mon bureau que mon téléphone s’est mis à sonner.
Remarque : en plus des cas mentionnés ici, l’inversion du sujet est utilisée en français comme procédé de formation de l’interrogation directe.
Bien que le finnois puisse varier l’ordre des mots plus librement que le français et user de ce procédé pour déplacer le focus, ce n’est pas toujours le cas, et il y a certaines différences importantes entre le finnois et le français.
Le finnois utilise couramment ce qu’on pourrait appeler un ordre des mots « plat » (par opposition avec la mise en relief), dans lequel le focus peut ou doit se déduire du seul contexte. Ainsi, ce titre d’article très caractéristique relevé dans un quotidien [Helsingin Sanomat, 22.8.2009] à propos d’un accident dans une centrale hydroélectrique en Sibérie :
Venäjä: Terroristit eivät aiheuttaneet Siperian voimalaturmaa.
Traduite en français en respectant le même ordre des mots, la phrase serait :
Moscou : Les terroristes n’ont pas provoqué l’accident de la centrale en Sibérie.
Telle quelle, la phrase parait étrange en français, car le thème étant les terroristes, le focus semble être sur l’un ou l’autre élément qui se trouve à la fin de l’énoncé :
Les terroristes n’ont pas provoqué l’accident de la centrale en Sibérie. [mais ailleurs, dans le Caucase, par exemple]
Les terroristes n’ont pas provoqué l’accident de la centrale en Sibérie. [mais autre chose, par exemple un sabotage d’oléoduc]
Les terroristes n’ont pas provoqué l’accident de la centrale en Sibérie. [mais ils l’ont bien commandité]
Le focus pourrait donc être sur le complément de phrase, sur le complément du verbe, ou même sur le verbe, alors que d’après le contexte, il est censé porter sur le sujet de la phrase, les terroristes.
Autrement dit, tous les éléments de l’énoncé semblent sur un pied d’égalité (tasavertaisia), et il y a une sorte d’absence de relief (de « platitude », latteus) qui dérangerait beaucoup en français, langue qui a une tendance nettement plus marquée que le finnois à focaliser l’élément important. Le titre en français serait vraisemblablement une phrase au passif :
Moscou : L’accident de la centrale en Sibérie n’a pas été provoqué par des terroristes.
Le passif serait sans doute préféré ici, car si on utilisait une phrase clivée, qui serait possible également :
Moscou : Ce ne sont pas des terroristes qui ont provoqué l’accident de la centrale en Sibérie.
cela suggèrerait que l’on sait qui ou ce qui est à l’origine de l’accident, mais qu’on ne veut pas le dire. Le passif permet de masquer cet aspect. Ce type de focalisation « plat » est tout à fait courant en finnois, nettement moins naturel en français (sauf par exemple dans des textes législatifs ou juridiques ou autres). Les disparités entre les deux langues sur ce point se manifestent également en ce qui concerne le superlatif.
Cette tendance à égaliser les éléments focalisables de l’énoncé concerne aussi la place du complément de phrase. Cet avis placardé sur un arrêt de bibliobus :
Kirjastoauto ei pysähdy tällä pysäkillä 2.5-17.5 tietöiden takia.
se traduit mot à mot :
Le bibliobus ne s’arrêtera pas à cet arrêt du 2.5 au 17.5 en raison de travaux.
Le focus étant placé par défaut sur le dernier élément de la phrase, c’est l’élément en raison de travaux qui se trouve ainsi souligné, ce qui est compréhensible, car il est la cause première du fait que le bibliobus ne s’arrête pas pendant la période concernée, et en quelque sorte le motif de cet écriteau. Le finnois, habitué au style de focalisation « plat », permet ce moyen de présenter les faits. Cependant, en français, le complément de phrase en raison de travaux acquiert dans cette position une trop grande « visibilité » (saillance), et on a envie de poursuivre la phrase : « Le bibliobus ne s’arrêtera pas à cet arrêt du 2.5 au 17.5 en raison de travaux : mais pour quelle raison, alors ? » Cette ambigüité disparait, si on place le complément de phrase en début de phrase et on lui donne son rôle de thème (il y a des travaux : quelles sont les conséquences ?) :
En raison de travaux, le bibliobus ne s’arrêtera pas à cet arrêt du 2.5 au 17.5.
Ce sont ainsi les deux informations essentielles, (1) le bibliobus ne viendra pas, (2) pendant quelle période, qui sont focalisées, et dans l’ordre nécessaire. L’information essentielle est en effet la date à laquelle cette absence de bibliobus a lieu et son caractère temporaire.
La focalisation plate du finnois fait aussi sentir ses effets dans l’interprétation du mot se, déterminant ou pronom. En effet, devant un GN, le mot se s’interprète d’abord comme un déterminant. Dans la phrase suivante, on trouve une construction attributive suivie d’une relative :
Hän on se mies, joka aloitti suomalaisen hiihdon nousun sodan jälkeisinä pulavuosina. (a) C’est lui l’homme qui est à l’origine de l’essor du ski finlandais après les années de disette de l’après-guerre.
Le mot se est ici un déterminant démonstratif à valeur cataphorique, qui correspond en français à l’article défini. Mais la phrase finnoise pourrait aussi s’interpréter comme l’équivalent d’une phrase clivée en français :
(b) C’est cet homme qui est à l’origine de l’essor du ski finlandais après les années de disette de l’après-guerre.
Dans la phrase (a), on pourrait remplacer la relative par exemple par en question : c’est lui l’homme en question. Dans la phrase clivée (b), c’est plus difficile : ??C’est cet homme en question. C’est justement là la caractéristique de la phrase clivée (« coupée ») : l’élément mis en relief à l’aide de c’est est un élément obligatoire de l’ensemble, qui, avec la relative, forme en réalité une seule proposition. De même, sortie de son contexte, la phrase
Se on se rakenne joka määrää.
s’interprète d’abord ainsi :
C’est cette structure qui est déterminante.
et non pas comme une phrase clivée qui serait :
C’est la structure qui est déterminante. [et non pas le contenu] (En finnois : Rakenne määrää ensisijaisesti.)
Dans le contexte où la phrase a été trouvée, elle avait cependant le sens d’une phrase clivée, mais cette valeur n’était évidente que parce qu’on avait dit précédemment dans le texte :
Tutkijoiden mukaan indoeurooppalaisessa heetin-kielessä vain 20% tunnetuista sanoista oli alkuperältään indoeurooppalaisia, mutta kieli pysyy silti IE-perheessä. Se on se rakenne joka määrää.
D’après les chercheurs, 20 % seulement du vocabulaire connu du hittite était d’origine indo-européenne, mais la langue reste classée parmi les langues IE. C’est la structure qui est déterminante.
Autrement dit, l’interprétation correcte du mot se (se on se rakenne joka) comme démonstratif ou comme cataphorique dépend du contexte. En français, ce n’est pas le cas, parce qu’on utilise deux déterminants différents :
démonstratif : c’est cette structure qui est déterminante
cataphorique : c’est la structure qui est déterminante.
9. Ordre des mots et focalisation. Mise à jour 26.2.2024